Vêtue d’une robe importable en un autre lieu, Solène est en représentation. Virevoltent d’invité en invité, une coupe à la main, elle sourit, dit un mot à chacun et s’assure que personne ne manque de rien. Tandis qu’investisseurs et joueurs assistent à la naissance d’un nouveau lieu de plaisir, elle fête la fin de son plus gros chantier de l’année : le pilotage de la réhabilitation d’un des premiers clubs libertins parisiens. Du haut de son mètre soixante, juchée sur ses escarpins, Solène est présente depuis le début, quand le bâtiment n’était qu’une ruine, avec des gravats au sol et des barrières de sécurité. Elle entend encore la voix vibrante d’émotion du nouveau propriétaire, lorsqu’il lui expliquait sa vision du lieu : libertin, magnifique, convivial… L’objectif était ambitieux, mais elle s’était lancée dans le projet avec un enthousiasme particulier.
Personne ne savait que pour elle, il ne s’agissait pas de n’importe quel club : vingt ans auparavant, elle avait brièvement fréquenté celui qui l’avait précédé. Un endroit peu engagent, kitsch au possible et peuplé d’hommes de l’âge de son père. Avant de la laisser entrer, on avait même voulu s’assurer qu’elle savait où elle mettait les pieds. Pas totalement. Mais la jeune femme d’à peine vingt ans avait voulu tenter l’expérience.
Seule, elle s’était livrée aux hommes présents cet après-midi-là. Le temps avait gommé leurs visages, mais elle n’avait jamais oublié leurs corps chauds contre le sien. Elle avait été l’objet de leur désir, mais aucun ne l’avait prise à la légère : ils avaient deviné qu’il s’agissait d’un baptême et avaient voulu le rendre inoubliable. Après ce jour-là, peu d’hommes avaient autant pris en considération son plaisir. En sortant du club, elle aurait été heureuse de pouvoir dire qu’elle l’avait fait, mais n’avait personne à qui en parler. Cet après-midi de débauche était resté son secret.
Elle n’y avait jamais remis les pieds jusqu’à ce qu’on lui propose, lors d’une soirée privée, de participer à sa réhabilitation: une conversation polie, avant que tout ne dérape. Elle en avait souri, mais le lendemain, son amant d’un soir l’avait rappelée.
Lors d’une des premières réunions de chantier, elle était descendue sur ce qui fut jadis la piste de danse. Au milieu des ouvriers, elle s’était revue à l’endroit où elle avait joui sans la moindre retenue. Les yeux mi-clos, elle en avait tremblé. Seul son sourire trahissait son émotion…
Depuis le bar, en haut de l’escalier, Solène observe les convives. Ce soir, la population n’a rien à voir avec celle qu’elle a connue. Les gens sont beaux et attirants. Ce sont principalement des hommes d’affaires accompagnés, venus voir dans quoi ils ont mis leur argent et des « figures » masculines et féminines du monde libertin. Tous devisent autour d’un verre ou se trémoussent sur la musique. Au moment de les rejoindre, elle réalise qu’elle n’avait pas anticipé sa peur : Osera-t-elle confronter ses souvenirs à la réalité du jour ? Elle n’est plus la jeune femme qui a passé la porte un après-midi d’été. Marche après marche, Solène tente d’oublier qu’il y a très longtemps, elle a dansé ici, au milieu d’inconnus qui l’ont désirée et baisée. Ce soir, elle doit se fondre dans une foule qui l’ignorera peut-être.
Dès qu’elle pose un pied sur la piste de danse, Solène est happée par l’intensité du désir qui circule dans la salle : autour d’elle, une multitude d’envies s’entrechoquent. Elle est submergée par les sourires radieux et les voix trop fortes, mais certains détails lui sautent aux yeux : les femmes se mordent les lèvres, les hommes leur lancent des œillades appuyées et sous les tables, les mains s’aventurent bien plus haut que la décence ne l’autorise. Les ondes sexuelles retenues entre ces murs depuis des décennies agissent sur les participants.
Au détour d’un couloir, elle croise un couple qui échange un long baiser. Tandis que leurs lèvres se dévorent, l’homme caresse la jeune femme et s’amuse à remonter sa jupe. Elle est jeune. C’est une licorne, une des rares femmes seules de la soirée. Solène reconnait son appétit vorace : elle a éprouvé le même. Elle aussi était une licorne.. Est-ce pour cela que la vue d’un simple baiser la trouble autant ? Très vite, un attroupement se crée. Solène ne quitte pas le couple des yeux. Son attention est focalisée sur celle qu’elle considère comme son alter égo, à vingt ans de distance.
Le ventre de Solène s’embrase : À travers la jeune femme, elle sent la peau nue qui frissonne, le picotement des doigts inconnus, l’envie de les guider plus bas, la peur d’aller trop vite… Elle reconnait le trouble et la confusion mêlés, qui incitent à ne plus réfléchir. Ce que fait Solène quand l’homme l’invite à les rejoindre.
Quand leurs corps se touchent, passé et présent se confondent dans la tête de Solène. Délaissant très vite l’homme qui les a réunies, les deux femmes se trouvent dans un plaisir égoïste. Autour d’elles, les voyeurs ont sorti leurs queues, mais elles ne leur jettent même pas un regard : leur tour viendra. Pour l’instant, seul compte leur plaisir. Elles se frayent un chemin vers le coin câlin le plus proche, avides l’une de l’autre.
Plus tard, Solène ne saura pas expliquer à quel moment elle s’est retrouvée entre les cuisses de Maelys, ni comment elle a su que sa complice s’appelait ainsi. Elle se souviendra l’avoir fait crier, plusieurs fois et que ses gémissements lui ont rappelé les siens, passés et présents. Ensemble, elles ont fait de cette inauguration une mémorable soirée libertine.
Alors que Solène prend son manteau au vestiaire, le propriétaire la prend à part :
⁃ Merci. Vous avez fait de cet endroit un lieu magnifique et de cette inauguration une mémorable soirée libertine.
⁃ Je reviendrai, dit-elle en souriant. J’ai de merveilleux souvenirs ici.
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