Après avoir lu un excellent article de l’ex actrice de X Celine Tran, sur la relation entre sexe et douleur, j’ai eu envie d’écrire un texte sur ce sujet, tellement incompréhensible pour ceux qui ne l’ont jamais vécu.
C’est d’ailleurs parce que j’en avais marre qu’on me pose tout le temps la question : “Mais comment as-tu pu supporter ça ?” que j’ai écrit la nouvelle qui suit.
C’est un autre texte (la manifestation) qui a été retenu pour le recueil “Osez 20 histoires de SM” mais j’aime beaucoup cette nouvelle. J’ai donc enfin trouvé l’occasion de la partager avec vous. Dites-moi ce que vous en pensez, surtout !
L’interview révélatrice
« Parlez-nous de vos expériences coquines et de vos goûts. Répondez à nos questions, sans tabou. »
Même si cela m’a paru amusant de répondre à cette invitation publiée sur un forum, je sens tout de suite que le courant ne passera pas entre moi et la « journaliste » qui s’assoit en face de moi dans ce café parisien où nous nous sommes donné rendez-vous. Elle me dit s’appeler Mélissa, mais je peux l’appeler Mel, et semble très préoccupée par une mèche de cheveux artistiquement placée pour qu’elle lui retombe dans les yeux. Elle fait la bise au serveur, qui me détaille des pieds à la tête avant de prendre ma commande. Je n’aime pas ces endroits trop tendances où la musique est trop forte et la lumière artificielle.
Dans mon mail de réponse, je lui avais dit aimer les jeux de soumission domination. Je ne dois pas avoir le look de la maîtresse SM, car dès que ses yeux remplis de pitié et de commisération se sont posés sur moi, j’ai compris que l’entretien allait tourner autour d’une seule interrogation : « Mais comment a-t-elle pu accepter ça? »
Elle sort un crayon et un bloc puis me propose de répondre à quatre questions, qu’elle a préparées à l’avance. Elle m’avoue ne pas procéder comme ça d’habitude, mais elle remplace sa collègue de la rubrique « sexo ». Son truc à elle, c’est la mode.
D’accord… Une fashonista interviewe une soumise. Ça risque d’être drôle.
Comment peut-on appartenir à un homme ?
Comment pourrais-je vous expliquer pour quelles raisons je lui ai appartenu ? Ça ne s’explique pas. Ni sur un divan, ni dans un café. Vous pouvez me dire que j’étais jeune, qu’il a profité de moi, qu’il en a abusé même. Je n’ai pas besoin d’excuse. J’ai ravalé puis vomi la honte qu’on a voulu que je ressente. Est-il socialement plus correct pour une jeune femme de se dire « aveuglément amoureuse » pour justifier du fait que son amant la corrige et qu’elle aime ça ?
J’aimais sentir son regard peser sur le mien. L’agacement, puis la colère qui dessinent un orage sur son visage, la lueur qui s’allume dans ses yeux… Tous ces signes aussi incontournables pour nous qu’indéchiffrables pour les autres.
J’aimais aussi me rendre insupportable, le titiller à la limite du raisonnable, minauder, faire la fière, le snober. Il restait stoïque jusqu’à ce que je comprenne que cette fois, j’étais allée trop loin. Un sourire froid me coupait dans mes gamineries. Nous plongions alors dans un silence qu’il entretenait, en savourant la tension qui montait, dans la voiture tandis que des paysages de plus en plus denses s’étalaient devant nous. Il arrêtait le moteur, le plus souvent sans savoir où il nous emmenait. Tout ce temps, j’ai eu en lui une confiance totale. Jamais je n’ai envisagé qu’une mésaventure autre que celle de me retrouver les fesses nues et bouillantes sous ses mains, pouvait arriver. Je crois n’avoir même jamais songé qu’on pouvait nous surprendre. Même à portée de voix des passants près du lac du Bois de Vincennes, si je n’ai pas voulu crier, c’était pour lui montrer qu’il ne m’impressionnait pas.
Premier tête à tête, il y a des siècles, en forêt déjà. Je parle, je papote, je babille… Impressionnée par cet homme, non par son âge, mais par le fait qu’il est là, alors que j’en suis sûre, il a surement autre chose à faire. Mais non : il reste là, il m’écoute, mieux encore, il me fait parler…. Je pourrais vous dire, qu’il avait les yeux verts, tout comme en cherchant bien, encore aujourd’hui, je pourrais lui trouver un petit quelque chose de Brad Pitt… Mais j’ai surtout entendu sa voix après la mienne.
La morale est sauve : j’ai connu la chaleur de ses bras avant de goûter à ses mains. Mais il ne m’a embrassé qu’à la fin d’un trio mémorable, le premier, dont je garde des images d’une sensualité que le temps a sans doute idéalisée.
Des corrections reçues au coin d’un bois, des trios… L’image de la jeune fille abusée vacille. Tant mieux, elle me correspond si peu. La journaliste évite mon regard, visiblement mal à l’aise. Elle tourne consciencieusement sa cuillère dans son café. Je poursuis :
Quand j’ai envie de lui, je me vois culotte aux chevilles sur ses genoux. Je n’imagine pas « faire l’amour » avec lui autrement qu’en lui offrant mon cul couvert de marques. Ce n’est pas son mode de fonctionnement, mais le nôtre. Avec lui, je baisse les yeux, mais pas la tête. Le sourire en coin demeure, et quand je croise son regard, même nue à quatre pattes, même offerte, j’y lis une connivence au-delà du désir.
S’il vous prenait l’envie de me juger, vous qui me prenez pour un monstre de perversion et qui me regarder en oubliant que vous baisez dans la même position chaque samedi soir depuis 15 ans, demandez-vous avant : Comment réagit-il quand vous lui dites : « non » ?
En toute sérénité, je vous réponds qu’il me sourit.
Comment avez-vous supporté de n’être que sa maitresse, si vous l’aimiez ?
J’ai « supporté » de ne pas être la seule femme de sa vie, dites-vous. Pensez-vous qu’il était le seul homme de la mienne ? Je tire aujourd’hui encore une grande fierté de savoir que même en le partageant, je suis unique à ses yeux. Voyez-y toute la vanité du monde, ou un stratagème pour me rassurer, si ça vous amuse. Les chemins que nous avons pris ensemble, il ne les a sillonnés qu’avec moi. Je ne suis qu’une aventure dans sa vie, je le revendique. En aucun cas, je ne veux partager son quotidien plus de deux jours. Je ne veux pas des mesquineries de la vie ordinaire avec lui. Une fessée devant une feuille d’impôts tient du blasphème. Je cultive mon statut de maîtresse, il me protège de celui d’épouse.
Le mot « avilissant » passe sur les lèvres de Melissa tandis qu’elle griffonne quelques notes. Une faible parade à une gêne quasi tangible. Elle m’énerve ! Impression de parler à un stéréotype qui voudrait me faire rentrer dans des cases. Je continue, largement ironique :
Avilie, salie, dégradée, quand ce n’est pas en plus, à mon insu, mais que ne m’a-t-il pas fait ! Pire encore, j’en redemande ! Ce que vous nommez « saleté » se nettoie à l’eau et au savon. Dégradée ? Aux yeux de qui ? Si c’est aux vôtres, alors il n’est pas encore allé assez loin, puisque vous me regardez encore. A mes yeux, il ne m’a dégradée que lorsqu’il m’a oubliée. En sa compagnie, j’étais fière, et je le sus plus encore aujourd’hui, mesurant le chemin parcouru.
Avilir… « Rendre méprisable, déshonorer ». Quelques claques sur les fesses ne m’ont jamais rendue méprisable, encore moins déshonorée. Par contre, elles m’ont rendue plus forte, ne serait-ce que parce que, pendant que je vous parle, je peux vous imaginer à ma place, et en rire.
Peut-être ressentez-vous le besoin certains soirs, d’un verre d’alcool fort ou d’une taffe, ou peut-être prenez-vous le comprimé miracle qui vous fera dormir d’un sommeil sans rêve. J’ai choisi la sexualité, le cul, l’orgasme pour décompresser. Il m’est arrivé, il m’arrivera encore, de passer la porte d’un club échangiste comme une droguée en manque. J’en ressors la tête à l’envers, courbaturée et un peu saoule, de toutes ses mains qui m’ont palpée, griffée, bref dépouillée, permis de déconnecter, deux heures au moins du monde réel.
Je n’ai pas oublié la première fois où on m’a ouvert la porte. L’œil dubitatif du patron, devant ma tenue : jeans, sous pull, baskets… « Vous savez où vous rentrez ? Oui. En plein après-midi, il n’y avait que des hommes au bar, plus poches de la cinquantaine que de la vingtaine, pas très beaux, même sous un éclairage indirect. Ça ne m’a pas fait fuir. Un homme m’a adressé la parole. Je lui ai juste dit que c’était la première fois que je venais, puis nous sommes descendus sur la piste de danse, entourée de lits et de banquettes. Je me faisais l’effet d’être un pot de miel. Le peu d’habitués présents se collaient à moi et m’entrainaient comme une cohue dans le métro, vers un matelas disponible.
J’ai le souvenir d’avoir été assise, le sexe offert. Un homme dont je n’ai même pas vu le visage, a enfoui sa tête entre mes cuisses et m’a amenée à la jouissance avec sa langue. Pendant ce temps, des mains faisaient durcir mes seins, des bouches les mordaient. Au moment de jouir, je me souviens très bien du gérant venu me murmurer « tu ne fais que ce dont tu as envie, ici. » C’est cette phrase qui m’a permis de lâcher prise et de m’abandonner au plaisir.
J’y suis retournée par la suite, seule ou accompagnée. Récemment, avec un ami qui partage mes envies plurielles : Il voulait me voir prise par un autre homme, je voulais sentir d’autres sexes que le sien. Mon seul regret, est qu’il ait joué le jeu d’une histoire sans parole : l’homme est entré, a attendu un signe d’approbation, puis m’a ouverte et s’est fondu en moi. J’aurai voulu qu’il m’offre. Il m’a manqué cette pointe d’humiliation qui précède l’abandon. Entendre : « mais je vous en prie, elle ne vous dira pas non. » aurait par exemple agréablement pimenté mon délire. De même que sentir des mains connues présenter mes recoins les plus intimes à une queue inconnue, n’aurait sans doute que renforcé mon orgasme.
Vous aimez rester passive et obéir ?
Et vous ? Aimez-vous rester sur le dos, cuisses écartées et regarder le plafond ?
Elle est choquée : elle cligne des yeux, le rouge lui monte aux joues, tandis que je surmonte mon agacement en demandant un verre d’eau. Avec le ton sentencieux d’une maîtresse d’école, j’explique :
Dans certains jeux, j’aime qu’on ne me demande pas mon avis. J’adore la sensation d’abandon que procure le fait de se laisser guider. Un vrai don de soi. Il n’est pas question d’obéissance aveugle mais plutôt de théâtre. Je rentre dans un personnage. Je fais ce qu’on me dit, non pour faire plaisir à l’autre mais pour qu’il m’amène où il veut nous amener.
J’ai toute ma tête et tout mon libre arbitre, quand j’attends, nue, attachée les mains dans le dos, qu’il me prenne. Le plaisir qui irradie mon ventre n’est pas feint et c’est bien moi qui lui donne le rythme de mon plaisir quand je m’agite sur son membre.
Ses yeux brillent. Se pourrait-il qu’elle entende enfin ce que je lui dis ?
Vous considérez-vous comme une femme soumise ?
Cette question-là, il fallait que vous la posiez. Je suis curieuse de voir avec quels autres monstres de foire je vais me retrouver dans votre article.
Je ne me considère ni comme une soumise, ni comme une perverse, mais plutôt comme une jouisseuse. Mon terme préféré, s’il n’était si galvaudé, est celui de salope, mais je sens que vous ne voudrez pas comprendre…
Je n’aime pas spécialement avoir mal. Je ne demande pas à mon amant de me frapper pour le plaisir de me laisser envoyer à l’hôpital. Pour ça, un bourrin de base porté sur la bouteille suffirait, en plus je n’aurais même pas à demander. Oui, je suis souvent rentrée à la maison avec des bleus sur les fesses. Le souvenir de la douleur existe mais il fait partie de l’histoire.
J’aime être spectatrice d’un plaisir trouble que je n’aurai pas connu si j’avais refusé ses règles. Etre attachée, exhibée, marquée, parfois offerte, traitée comme un jouet, passer de main en main, de queue en queue ou de bouche en bouche, j’aime tout cela mais dans la vie courante, ce n’est pas moi. Abandonner la maîtrise du jeu, la donner à l’autre, me permet de me concentrer sur moi, de repousser mes limites, mes possibles. J’ai connu des plaisirs inattendus, des orgasmes inavouables pour avoir osé m’aventurer au-delà de ce que vous jugez acceptable.
Je l’avoue, j’aime être l’objet de belles images. Une scène érotique ou pornographique n’a de sens que si elle me donne envie de la regarder et donc, qu’elle me fascine. J’aime être au cœur de scènes hors normes, dans des lieux atypiques, pourquoi pas avec des inconnus. Je me sens belle quand je jouis et si le rouge sur mes fesses attire l’œil d’un spectateur, si cela l’intrigue ou le fait bander, je n’en prends que plus mon pied.
J’arrête de parler. Quelques secondes passent, pendant lesquelles elle semble absente, puis elle sort de sa torpeur en bafouillant. Elle me remercie, rassemble ses papiers, les fait tomber en se levant, visiblement troublée. Apparemment, j’ai touché un point sensible.
« Ça va ?
– Oui, bien sûr. J’ai chaud, c’est tout. Je vous laisse une seconde, je vais me remaquiller.
J’avale une gorgée de café froid en la suivant des yeux. Je n’avais pas remarqué sa tenue: pull moulant, jupe ultra mini, grandes bottes à talons. Elle est jolie, mais elle le sait… Poussée par la curiosité, je la suis jusqu’aux toilettes. Une femme me tient la porte et sort quand je rentre. Il n’y a personne. Une seule porte est fermée. Je n’attends que quelques secondes avant de voir sortir Mélissa, mais une Mélissa bien différente de celle que je viens de quitter : Elle n’est plus rouge, mais écarlate, haletante et complétement débraillée. Son pull est aux trois quart relevé et lui arrive juste sous la poitrine. Sa jupe est remontée et laisse voir des dim up et un soupçon de lingerie noire. Elle serait juste négligée, si elle ne tenait pas un vibromasseur rose dans la main. Elle se fige en me voyant et referme prestement sa main sur l’objet en forme d’œuf. J’imagine qu’elle ne m’a pas entendu rentrer et a dû attendre de se croire seule pour sortir se refaire une beauté après un petit plaisir solitaire.
Melissa semble perdue. Je souris et pose un doigt sur mes lèvres. Il semble que notre entretien l’ait émue plus qu’elle ne veut l’admettre. Je la pousse contre le mur. Nous avons peu de temps, n’importe qui peut rentrer à n’importe quel moment. Elle pousse un gémissement, mais écarte les cuisses avant même que je ne lui en donne l’ordre. J’agrippe sa lingerie fine à pleine paume et plante mes ongles dans la chair tiède de son pubis Elle gémit plus fort. J’arrache sa culotte et la laisse tomber sur ses chevilles.
«Retourne-toi. »
Elle a de très jolies fesses. J’observe avec joie qu’elle a l’air de se moquer complétement de l’endroit où elle se trouve. Elle remonte sa jupe et se cambre, jambes bien droites. Je suis sûre qu’elle sait combien elle est désirable. Je ne suis pas la seule à être sensible aux belles images.
Une première griffure lui lacère le cul. Elle se mord les lèvres pour ne pas crier. Je veux la marquer, lui faire ressentir ce que je lui ai raconté.
« Envie de jouer les soumises, chérie ? »
Elle hoche la tête. Je passe la main entre ses cuisses et la découvre trempée. Une claque, puis deux, puis dix lui rougissent les fesses. Je baisse sa jupe sur la chair chaude et lui murmure que si elle est d’accord, je la ferai jouir comme jamais, mais que pour cela il faut qu’elle m’obéisse. Elle ne sait murmurer qu’une réponse :
« Oui, oui, oui… »
Nous avons passé une nuit torride dont ni l’une ni l’autre ne sommes ressorties indemnes. Mélissa et moi nous voyons régulièrement. Elle m’a avoué récemment avoir compris plus de choses après l’interview que pendant. Elle m’a également confessé ne pas avoir été très attentive au début, tellement elle avait de préjugés sur les jeux de soumissions domination, sans les avoir jamais pratiqués elle-même. Cet aveu lui a valu une correction qu’elle n’est pas prête d’oublier.
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